Les “ambassades” de l’ETA

José Luis Barbería, EL PAÍS, 01/06/2008

Dissimulée derrière des organisations écran et des ONG instrumentalisées à son service, l’ETA-Batasuna donne des leçons sur les droits de l’homme de par le monde, même aux Nations Unies, et elle accuse l’État espagnol de tenir sous son joug l’Euskadi, de criminaliser les idées politiques et de réprimer sauvagement, de torturer et d’assassiner les indépendantistes basques.

La conviction répandue que la tâche de propagande de l’ETA à l’étranger a une influence strictement marginale et qu’elle reste dans les milieux proches au sectarisme et à la violence terroriste bute contre certaines questions qui ont surgit lors des derniers temps.

Pourquoi certains dirigeants du Congrès National Africain (CNA) de Nelson Mandela pensent que l’État espagnol veut éliminer l’euskera ? Comment peut-on expliquer que des représentants du MAS bolivien, le parti du président Evo Morales, donnent une conférence de presse conjointe avec les responsables d’Askapena (Libération), le réseau d’activisme et de propagande internationale de Batasuna que dirigent des personnages inculpés de collaboration avec le terrorisme ? À quoi est dû qu’une douzaine d’europarlamentaires, tels que Michel Leutert, du Die Linke allemand (le parti de l’ancien ministre et dirigeant social- démocrate Oskar Lafontaine) propagent qu’en Espagne on torture systématiquement et que les idées indépendantistes sont persécutées ? Et pourquoi dénient les juges argentins et belges l’extradition d’activistes de l’ETA, invoquant les résolutions du Comité pour la Prévention de la Torture (CPT) du Conseil d’Europe ?

On dira que ce sont des cas isolés. Le président du Gouvernement lui-même, José Luis Rodríguez Zapatero, a affirmé jeudi que le soutien international à l’ETA « s’est réduit radicalement », mais, néanmoins, l’Espagne est maintenant un pôle d’attraction pour les experts internationaux dans la résolution des conflits (la célèbre industrie de la médiation) et, surtout, un pays de visite prioritaire pour les rapporteurs de l’ONU qui surveillent le respect des droits de l’homme. Le Gouvernement, la police, les juges et les procureurs espagnols sont obligés de donner des explications, quelque chose qui n’est pas exigée à la France, par exemple, même si le pays voisin arrête dernièrement encore plus activistes de l’ETA. Dans ses rapports périodiques sur la vulnération des droits de l’homme, le rapporteur spécial précédent de l’ONU, Theo van Boven, consacrait normalement à la situation espagnole entre 185 et 225 paragraphes (entre 10% et 11% du total de ses textes définitifs), par rapport aux 42 paragraphes consacrés à la Russie, aux 4 à la France et aux 3 au Maroc. Si ces espaces correspondent à la vulnération des droits de l’homme, l’Espagne serait donc le pays qui maltraite le plus les détenus. Est l’influence extérieure du complexe ETA si insignifiante ou, contrairement à ce que les juges et les procureurs espagnols affirment, y a-t-il effectivement des raisons pour soupçonner que les détenus de cette organisation son régulièrement torturés ? Le traitement policier infligé aux islamistes arrêtés sous les lois antiterroristes ne pose normalement pas de problèmes, et le traitement donné par la police locale aux immigrés en situation irrégulière ou aux délinquants de peu

d’importance non plus, même si, d’après certains d’experts espagnols, c’est là justement qu’interviennent les abus les plus graves.

Bien que ses conclusions soient substantiellement différentes à celles de son prédécesseur, le nouveau rapporteur spécial de l’ONU, Martin Scheinin, s’est également déplacé en Espagne afin de s’intéresser à la situation des détenus de l’ETA, le collectif qui justement a un plus grand soutien politique et social et qui a des haut-parleurs, des ressources et un grand groupe d’avocats militants au service de la cause. Les organisations des familles des détenus de l’ETA et leur collectif contre la torture Torturaren Aurkado Taldea inondent régulièrement de plaintes les bureaux des rapporteurs de l’ONU et tout autre forum international à leur portée. Les activistes d’Askapena et les délégations de Batasuna amplifient ces accusations dans les congrès et les rencontres avec des partis étrangers, surtout si, comme cela vient d’être le cas, la plainte générique de mauvais traitements et de tortures est avalisée par une institution comme le Parlement basque ou une organisation comme Amnistie Internationale.

Lorsqu’un groupe tue de façon systématique dans la démocratie, et que c’est son ennemi qui souffre exclusivement les pertes, il lui faut s’appliquer avec acharnement au discrédit de l’opposant et à faire une bonne stratégie de propagande pour essayer de se faire dénommer Mouvement de Libération National Basque (MLNV) et de ne pas être pris pour une simple organisation politique terroriste. L’ETA l’a compris au début de l’année 2000, après avoir constaté que, lors de la trêve de 1998 (Lizarra), elle avait obtenu un soutien extérieur très faible. La comparaison avec l’expérience de l’IRA a été dévastatrice pour eux : Non seulement elle n’avait pas obtenu le soutien que l’UE et les États-Unis avaient prêté avec décision aux négociations de l’Ulster, mais encore elle avait trouvé l’opposition expresse de beaucoup de Gouvernements européens. Aux yeux de la communauté internationale, l’Ulster n’est pas le Pays Basque.

Puisque la remise en question de sa raison d’être ne fait pas partie de sa pensée militarisée et totalitaire, l’ETA a décidé de se mettre à l’oeuvre et de se dévouer à « l’internalisation du conflit ». La présence de leur version civile dans les forums internationaux a notablement augmenté depuis. La comptabilité saisie en 2004 au chef du bureau politique Mikel Antza a montré que le poste de frais consacré à « l’appareil international » (257.000 euros) était à la troisième place d’importance et représentait 13% du budget annuel, d’après Vasco Press. Le nombre de libérés de cet appareil (NASA en terminologie domestique) avait augmenté entre 16 et 21 éléments. Contrairement à ce que nous pourrions supposer, l’expérience des ces quatre dernières années semble montrer que, avec toutes ses limitations, l’ETA- Batasuna avait de la marge politique et un parcours pour avancer dans « l’internalisation ». En effet, les médiateurs du Centre pour le Dialogue Humanitaire Henri Dunat (HD Centre) et les avocats sud-africains sélectionnés, Brian Currin et Roelf Meyer, ont joué un rôle média teur clé pendant la dernière négociation avec le Gouvernement.

Au cours de ce temps, ils ont obtenu le soutien pour leurs thèses auto-déterministes d’une dizaine de sénateurs italiens, surtout de Refondation Communiste et le Parti des Verts et, notamment, ils ont obtenu la constitution du Friendship (connu dans la mouvance abertzale comme Groupe d’Amis), d’europarlamentaires nationalistes ou de gauche partisans de

l’autodétermination d’Euskadi et de la négociation politique avec l’ETA. Il faut ajouter à ces amitiés le dénommé Réseau Gernika pour l’Autodétermination, composé en majorité de députés et d’élus flamands, écossais, irlandais et italiens, et soutiens comme celui des conseillers municipaux de Candidatures d’Unitat Popular (CUT) de los Països Catalans. Malgré les dernières désertions, comme conséquence de la rupture de la trêve, ces lobbies idéologiquement divers sont encore actifs et apparemment persuadés que la cause de la liberté est sous les postulats de plomb et de sang de l’ETA-Batasuna.

Le premier avertissement de l’action extérieure renouvelée de L’ETA est arrivé avant que l’organisation ait contacté le prêtre nord-irlandais Alec Reid (grand animateur de la négociation ces dernières années) et que les dirigeants de Batasuna aient commencé leur pérégrination en Afrique du Sud, selon le conseil de leurs amis du Sinn Fein irlandais. Le 30 octobre 2002, l’ONU a cédé son siège à Genève afin que le dirigeant de Batasuna, et avant et après chef de l’ETA, donne une conférence de presse avec Arnaldo Otegui et Joseba Álvarez. Après les protestations présentées au secrétaire général de l’ONU à l’époque, Kofi Annan, le Gouvernement espagnol a appris que Batasuna était infiltrée dans la Sous-commission pour la Protection et la Promotion des Droits de l’Homme de l’ONU. Il a constaté qu’un an avant Udalbiltza-Batasuna, association de municipalités gouvernées par cette formation, avait conclu un accord avec la Ligue Internationale pour les Droits et la Libération des Peuples (LIDLP), qui a le statut d’organe consultatif de l’ONU. En vertu de cet accord, Batasuna s’assurait qu’un de ses membres était accrédité comme membre de la délégation de la LIDLP dans la Sous-commission de Droits de l’Homme. L’acte d’accusation de Gestoras Pro Amnistía émis par le juge Balatasar Garzón inclut la transcription de messages significatifs que la représentante de la LIDLP, Verena Graf, et le délégué de Batasuna dans cette Ligue à l’époque, l’avocat Julen Arzuaga, inculpé plus tard de collaboration avec l’ETA, se sont échangés par courrier électronique. « Tu ne m’as rien dit de ce que tu as arrangé pour ta couverture, au nom de qui viens-tu ? D’Udalbiltza ? De la Ligue ? De la Ligue et Udalbiltza ou qui ? Qui paie et qui commande ? » demandait la Suisse Verena Graf.

Mis en perspective, la question peut sembler un peu oiseuse, dans la mesure où ce liberado et d’autres de l’action internationale, comme l’avocat Urko Aizartza, évoluent dans des domaines et dans des organisations écrans différentes, selon l’occasion et le moment. Ils peuvent représenter Gestoras Pro Amnistía ou son successeur, Askatasuna, et l’Observatoire Basque de Droits de l’Homme (Behatokia) ; ou ils peuvent apparaître dans le siège de l’ONU à Genève pour présenter leurs plaintes au Rapporteur Spécial sur la Torture et dans la Commission de Droits Économiques, Sociaux et Culturels de l’ONU pour accuser l’Espagne de criminaliser l’euskera pour avoir fermé le journal Egunkaria. Tous les « organismes de masses » du complexe ETA-Batasuna [Guk Independentzia (parti politique en deuxième plan), LAB (syndicat), Elkartzen (pour la défense des droits sociaux), Lurra (écologiste), Duina (coordinatrice des jeunes contre la précariété), Ikasle Abertzaleak (étudiants), Segi (pour le recrutement et l’encadrement des jeunes), Bilgune (féminisme) et Etxerat (parents des détenus)] ont fait des liens à l’extérieur avec des collectives présumés partisans.

Créée il y a 21 ans sous l’influence de la révolution sandiniste, Askapena a acquis de l’envergure et de l’influence (d’après des sources policières elle a environ cinquante

activistes – brigadistes) au fur et à mesure que la justice espagnole a coupé et démantelé l’appareil international de l’ETA (Xaki) et le front international de Batasuna. Lors de ses contacts « solidaires » avec les « peuples opprimés », cette curieuse ONG diffuse la version du conflit basque qui justifie les crimes de l’ETA et fait tous ses efforts pour discréditer l’État espagnol. Même si son champ d’action préféré est encore l’Amérique Latine (notamment le Venezuela, la Bolivie, l’Uruguay, Cube, l’Argentine et le Mexique), dans les derniers temps elle a étendu son activisme et a lié des contacts plus étroits avec des partis et des organisations de la Palestine, du Sahara Occidental, de l’Irak, du Kurdistan et de la Biélorussie. La mode de la kefia palestinienne qui a eu autant du succès dans certains milieux de la jeunesse basque, les appels à « l’intifade basque » et le boycott aux produits d’Israël, soutenu expressément dans les Zutabes (bulletins internes de l’ETA) sont le produit des voyages des brigadistes d’Askapena. Rien satisferait plus ce monde de touristes révolutionnaires sans une vraie cause domestique que se camoufler sous le jour d’un vrai conflit où ils peuvent changer sa condition de victimaires en celle de victimes.

Ascapena est la plate-forme utilisée pour contourner l’interdiction empêchant les organisations terroristes et leurs bras politiques d’être présents au Forum Social Mondial ; de plus celle-ci cherche à ressembler aux autres collectifs en lutte dans des endroits des plus conflictuels de la planète, à dénoncer « la situation d’Euskadi » et à établir des formules de coopération. Julen Arzuaga, titulaire de la Visa Gold saisie par la police chez le dirigeant d’EKIN Inigo Elkoro, a réussi à avoir un entretien avec le Haut Commissaire aux Droits de l’Homme des Nations Unis, Mactahr Ndoyi. Ce haut fonctionnaire est-il conscient du sarcasme que représente le fait que les délégués du dénommé Observatoire Basque des Droits de l’Homme soient précisément les amis de l’ETA ?

Gorka Elejebarrieta, qui est avocat et délégué de Batasuna à Bruxelles, a participé en septembre de 2007 au Parlement du Londres à une conférence de presse organisée par l’intergroupe Conflict Issues intitulée Dialoguant avec l’ennemi. Même si tous ceux qui participent à la constellation d’organismes écran et d’ONG fondées à partir de l’an 2000, à savoir, Askapena, Kamaradak (pour les jeunes de Segi), comités de solidarité à l’étranger, Behotokia, Gernika network, etc… appartiennent à l’ETA, les idiots utiles, les naïfs et les cyniques y sont aussi particulièrement bienvenus. Aucune personne dirigeant ces organisations ne se serait présenté à l’épreuve de dénoncer en public l’assassinat du conseiller socialiste Isaias Carrasco ou du garde civil Juan Manuel Piñuel.

Contrairement aux opinions des politiciens bien intentionnés ou des activistes des droits de l’homme qui leur offrent une couverture, les liberados de l’action extérieure de Batasuna, qui reçoivent les prestations budgétaires destinées aux groupes parlementaires et municipaux de PCTV, AVN et Udalbiltza – c’est donc l’argent public qui finance la propagande et le discrédit de l’État – ils ne cherchent qu’un seul règlement dialogué, à savoir, celui d’atteindre les objectifs politiques de l’ETA. Pour eux et pour l’ETA, la négociation est un outil complémentaire à celui de l’assassinat, un levier qui leur permet se développer, de se renforcer, de se rendre légitime et d’accumuler des forces. « Avant de mourir je veux voir un rebelle devenu président de la République d’Euskal Herria » a déclaré l’année dernière l’ancien sénateur de Flandres, Walter Luyken, président honoraire du Réseau Gernika pour l’Autodétermination auquel appartiennent également Jasper Kiel, député de Kopenhagen Folketinget ; Jean Guy Talamoni, député de Corsica Nazione ; Alex

Maskey, Francie Brolly et Aengus S’Nodaigh, député du Sinn Fein ; le Flamand Jan Loones ; les Ecossais Lloyd Quinan et Bill Kidd, et les sénateurs italiens Giseppe Di Lello, Fance Rame et Mauro Bulgarelli, entre autres.

Teo Uriarte, l’ancien membre d’Euskadiko Ezkerra, lié à présent au PSE, fait partie de ceux qui croient que la cessation de la violence n’est pas toujours facilitée lorsque l’on offre à une organisation terroriste des perspectives de pourparlers. Il considère qu’en dépit de la bonté apparente de tout processus de dialogue, la falsification et l’exaltation du problème, le recours aux professionnels de la médiation qui, à la recherche de résultats, tendent à équiper les deux partis en litige et l’application de formules testées dans de très graves conflits d’affrontement civil, constituent un risque élevé de transformer une tumeur bénigne en un cancer. Examiner les médiathèques et recueillir les declarations des experts médiateurs sud-africains Brian Currin et Roelf Meyer – engagés, tout d’abord par Batasuna et, après la trêve, par le Gouvernement basque, paraît confirmer cette opinion. « Nous pensons que l’attentat [la bombe qui a détruit le parking du terminal de Barajas et a tué deux personnes] donne une opportunité nouvelle pour renforcer le processus de paix et pour permettre de nouvelles négociations », a déclaré Roelf Meyer. « Il faut remettre en liberté les prisonniers et faire des concessions politiques » a proposé Brian Currin.

En tant que membres de la Fondation pour la Liberté, association crée pour démanteler les couvertures politiques du terrorisme, Teo Uriarte et son collègue Javier Elorrieta ont été requis par l’Ambassade espagnole en Afrique du Sud en septembre de l’année dernière afin de contrecarrer la campagne de propagande intensive déployée par les représentants de Batasuna, Bernardo Barrena, Joseba Álvarez et Urko Aiartza dans ce pays. Lors de leurs réunions avec les dirigeants politiques du Congrès National Africain (CNA) Kgalema Montthlante et Dumisane Sithole et le secrétaire national des Jeunesses Communistes, Buti Manamela, les membres de la Fondation pour la Liberté ont constaté avec surprise que leurs interlocuteurs sud-africains avaient une vision très déformée du problème basque et de la démocratie espagnole.

« Nous avons été surpris de découvrir que de personnes honorables et responsables avaient cru à pieds joints toutes les intoxications » commente Teo Uriarte. « Ils ne savaient rien de la transition politique espagnole, ils ignoraient l’existence d’une amnistie après le décès du dictateur et ils croyaient qu’en Espagne il n’existait pas de vraie démocratie et que le peuple basque était assujetti et discriminé à cause de sa langue. Ils ignoraient des données élémentaires de revenu par habitant et de développement économique d’Euskadi. Ils pensaient que Batasuna représentait un poids électoral énorme et ils ne savaient pas que l’ETA assassine des membres des partis démocratiques non nationalistes. Ils étaient convaincus que ce ne sont que les nationalistes espagnols qui s’opposent aux négociations avec l’ETA. Nous avons découvert que s’ils sympathisent avec Batasuna-ETA c’est parce qu’on les a convaincus que la lutte de ces derniers s’inscrit dans la théorie de la libération du tiers monde. ».

Uriarte et Elorrieta ont constaté que les voyages que les représentants du gouvernement basque ont effectués en Afrique du Sud au cours des dernières années n’ont pas contribué précisément à dissiper ces malentendus. « Comme ils insistaient sur l’oppression de

l’euskera, nous leur avons demandé d’où venait cette idée que l’Espagne avait l’intention d’éliminer la langue basque.

Et à notre grande surprise, Dumisane Sithole, président de la Commission des Affaires Etrangères du Parlement sud-africain, nous a répondu que cette information provenait de la conseillère basque Miren Azcarate ». Bien que leur ayant indiqué que l’Exécutif basque a des compétences en matière d’euskera et que rien ne l’empêche de consacrer davantage d’argent à la promotion de la langue, les membres de la Fondation pour la Liberté ne sont pas parvenus à convaincre leurs interlocuteurs du CNA. « Pourquoi allaient-ils nous faire plus confiance à nous qu’aux représentants du Gouvernement basque lui-même ?, dit Teo Uriarte. « Ils sont convaincus que les procédés qu’ils ont utilisés pour régler leur guerre civile peuvent être appliqués pour tout autre conflit, bien qu’en Afrique du Sud personne ne soit partisan de la sécession, parce que c’était la revendication des noyaux les plus durs de la minorité blanche ».

Loin de dédaigner les bonnes intentions animant les Sud-africains à négocier avec l’ETA, il nous faut cependant pas oublier que les relations internationales répondent à un jeu d’intérêts, parfois implacables. « Au moment des salutations lors de notre départ, l’un des leaders sud-africains nous a indiqué de manière explicite qu’ils seraient, eux, prêts à revoir leur position dans le conflit basque si le Gouvernement espagnol faisait la même chose avec le problème du Sahara », soutien Teo Uriarte, qui explique que cette approche a été niée plus tard par des responsables gouvernementaux plus hauts placés qui rejettent les intoxications de Batasuna.

Même si leur influence peut sembler marginale, nous ne pouvons pas non plus oublier que l’organisation terroriste cultive depuis de nombreuses années les contacts avec des organisations et des partis d’Amérique Latine qui, dans certains cas, sont parvenus au pouvoir. Dans le Venezuela de Hugo Chavez, où résident environ 40 activistes qui sont arrivés d’Algérie pendant le mandat de Felipe Gonzalez, les organisations de ETABatasuna disposent d’une interlocution gouvernementale privilégiée. La directrice générale du propre Cabinet de la Présidence, Goizeber Odriozola Lataillade, est mariée avec un ancien activiste de l’ETA, Arturo Cubillos Fontan qui occupe lui-même un poste important au Ministère de l’Agriculture et de l’Environnement. Journaliste, fille de Basque, Giozeber Odriozola assiste généralement aux manifestations chavistes avec une ikurriña. Elle n’est pas la seule sympathisante de la cause etarra dans l’Administration de Chavez. La diplomatie espagnole a dû s’employer à fond pour empêcher que soit octroyée la nationalité vénézuélienne à d’anciens activistes comme Miguel Angel Aldana Barrena, Ricardo Urtiaga Repollés, José Lorenzo Ayestaran Legorburu ou Eurgenio Barrutiabengoa Zabarte.

Pendant plusieurs décennies l’ETA a entretenu des relations, obligatoirement clandestines, avec les guérillas du centre et du sud de l’Amérique, à la recherche d’une coopération fructueuse, soit comme refuge pour ses activistes en fuite –certains ont fini dans des combats au Nicaragua ou Au Salvador- soit pour une coopération réciproque pour l’acquisition d’armement, la falsification de documents ou le financement. La mécanique de contact établissait le déplacement dans une première étape des avocats et des responsables politiques de l’ETA civile et, seulement après, lorsque la couverture semblait sûre, l’arrivée des clandestins. C’est ainsi qu’a été établie la collaboration avec le Front

Sandiniste du Nicaragua, le Front Farabundo Marti pour la Libération Nationale du Salvador ou les FARC colombiennes, dont l’un des représentants en Europe, qui répond au nom fictif de Oscar Gualdron, a participé aux journées internationalistes organisées par Askapena en Euskadi et auxquelles ont assisté Feliciano Vegamonte, député du MAS bolivien, et Martin Mac Guiness, actuellement vice-premier ministre nord-irlandais, au nom du Sinn Fein. Lorsque l’ETA a annoncé le dernier « cessez-lefeu permanent », les FARC ont salué le « courage du président Zapatero et le début du dialogue pour le règlement négocié du conflit ».

Bien que le sigle ETA reste abominé dans presque tout le monde, et s’avère gênant, même dans les cercles révolutionnaires ou alternatifs les plus extrémistes, sa version de la réalité d’Euskadi, ses arguments et ses tentacules civiles, vont maintenant encore plus loin dans le double objectif de détériorer au maximum l’image de l’Etat espagnol et d’obtenir un soutien politique à sa cause. Ce qui a changé depuis la trêve de 1998, c’est que l’action extérieure de l’ETA est maintenant plus ambitieuse et tente de s’inscrire définitivement dans le cercle de politique internationale, notamment en Europe. Les documents saisis par la police aux Gestoras Pro Amnistia et à leur prolongation, Askatasuna, parlent de projet de créer un « corps diplomatique basque », avec des herriembazadas (ambassades populaires) et des délégués permanents pour l’Europe et l’Amérique. L’objectif principal actuel étant d’être présents dans les commissions des droits de l’homme à l’ONU.

« Les dénommés brigadistes coopérants et les représentants d’Askapena ont appris à mieux s’adapter au terrain politique dans lequel ils évoluent, de façon que si à Cuba, en Bolivie ou au Venezuela ils s’en tiennent à l’orthodoxie du socialisme révolutionnaire anticapitaliste – en Bolivie ils s’opposent frontalement à l’autonomie de la région de Santa Cruz, avec l’argument –prêté- qu’il s’agit d’une initiative intéressée de l’oligarchie-, aux Etats-Unis ils présentent un profil plus classique et traditionnel pour gagner les sympathies des basques d’Idaho et des sénateurs conservateurs du profil de l’ancien secrétaire d’Etat d’Idaho, Pete Cenarrusa », indique un enquêteur policier. Il a été observé avec quelle facilité et quelle effronterie ceux qui pratiquent la dépuration idéologique en Euskadi, exercent l’assassinat politique de l’opposant et tiennent sous menaces une bonne partie des Basques, se mettent autour du cou la kefia palestinienne, posent aux côtés des Mères de la Plaza de Mayo argentines, se réclament victimes de l’apartheid et embrassent la symbolique de la Gernika bombardée, comme s’ils étaient les nouveaux martyrs basques. Il ne leur manque ni déguisements, ni pavillon de complaisance, ni sigles d’occasion.

La conclusion des membres de la Fondation pour la Liberté est que « l’ETA-Batasuna, les organisations de sa nébuleuse et le nationalisme basque en général ont réussi à insuffler à l’opinion publique européenne et internationale le soupçon que l’activité terroriste pour la ségrégation territoriale de la nation espagnole est poursuivie de manière injuste et anti- démocratique par les gouvernements espagnols successifs et par les instances juridictionnelles. » Ce jugement n’est pas partagé par tous, et bien entendu la diplomatie espagnole se garde bien d’entremêler l’action extérieure du Gouvernement d’Ibarretxe et la publicité de son plan souverainiste, avec la propagande internationale ETA-Batasuna, bien que, notamment dans les milieux moins informés, celle-la nourrisse les alibis de celle-ci.

Malgré l’inévitable reflux qu’a entraîné la rupture de la trêve, malgré les désertions de certains de leurs soutiens et l’attitude plus distante adoptée par leurs amis du CNA et le Sinn Fein, ils conservent, eux, leurs tentacules extérieurs et continuent à travailler, obstinés maintenant à convaincre le monde entier que le Gouvernement d’Espagne est le « véritable » responsable du fait que l’ETA «soit contraint de reprendre les armes ». Ils sont convaincus qu’il y aura d’autres opportunités, et meilleures. « Les discours d’ ‘unité face au terrorisme’, qui hier étaient qualifiées d’historiques, apparaissent et disparaissent depuis plus de 30 ans ; et également les spéculations, clairement frivoles, sur la faiblesse et la force d’une organisation armée. (…) La dure réalité indique qu’il faudra parcourir d’autres sentiers par lesquels sont déjà passés avant tous les Gouvernements espagnols », disait l’édition de Gara le 15 mai dernier dans l’exemplaire informant de la « mort », jamais assassinat, du garde civil Juan Manuel Piñuel.

Tout comme la femme de César, l’Espagne se doit non seulement d’être vertueuse dans un scrupuleux respect des droits de l’homme mais aussi de le paraître. Et pour cela il lui faudra contrecarrer plus efficacement l’action extérieure de ETA-Batasuna.

José Luis Barbería, EL PAÍS, 01/06/2008